When religious people ask me « But don’t you believe there’s something better than us in the universe? », I answer, « Yes, most dogs. »

– Ricky Gervais, 2014

 

Quand des personnes religieuses me demandent  «Mais ne crois-tu pas à l’existence de quelque chose de meilleur que nous dans l’univers? » je répond « Oui, la plupart des chiens. »

– Ricky Gervais, 2014

 

Gervais incarnant le très aimable Derek Noakes dans la série Derek, une œuvre d’une immense sensibilité et d’une originalité tout à fait rafraichissante.

 

Mafieux, proxénète et propriétaire d’une boite de nuit à Dallas, Texas, Jack Leon Ruby (né Jacob Leon Rubenstein, 1911-1967), l’assassin du présumé assassin du président John Fitzgerald Kennedy, Lee Harvey Oswald, était un cynophile ardent. Célibataire, il avait même l’habitude d’appeler son chien favori, un teckel qui se nommait Sheba, son épouse. Ceci rend d’autant plus curieux les évènements du matin du 24 novembre 1963, quand Ruby a surgi de la foule de journalistes, qui se sont amassés dans le sous-sol du commissariat de police de Dallas pour témoigner du transfert d’Oswald en prison, et a tiré mortellement sur Oswald.

Avec Sheba dans la voiture, Ruby est allé au centre-ville ce jour-là afin de virer une somme de 25$ à Karen Bennet Carlin, une des danseuses du Club Carrousel, sa boite de nuit de strip-teaseuses. À approximativement 11h du matin, Ruby est entré à l’agence de transfert d’argent Western Union, laissant son chien adoré dans la voiture pendant qu’il effectuait la transaction. Ceci, selon certains, aurait pu remettre en question la préméditation de son acte et, ainsi, sa participation dans le (prétendu) complot de l’assassinat de JFK lié au crime organisé. Si Ruby avait eu l’intention de tuer Oswald ce matin-là, on suggère qu’il n’aurait jamais apporté son chien avec lui. Son affection pour elle était telle qu’il l’aurait laissée chez lui et, de plus, aurait fait les arrangements nécessaires pour sa prise en charge après son inévitable arrestation pour le meurtre d’Oswald. Pour des raisons qui restent inconnues, au lieu de revenir à son auto suite à la transaction, Ruby, par contre, s’est promené en direction du commissariat de police où, au bout d’une rampe menant au sous-sol du commissariat, il a vu Oswald, en train d’être transféré à la prison deux jours après son arrestation pour l’assassinat de Kennedy. Submergé d’émotion à la vue du tueur du président, selon sa version ultérieure, Ruby a tiré dessus d’une manière complètement irréfléchie.

À la Commission Warren – commission d’enquête présidentielle chargée d’investiguer l’assassinat de Kennedy – George Senator, colocataire de Ruby, a témoigné de l’amour de Ruby pour ses neuf chiens. « Jack m’a toujours dit, je ne veux pas que tu les appelles des ‘chiens’. Ce sont mes enfants. » Selon Senator, Ruby a eu, en fait, plusieurs chiens, dont un certain nombre vivaient au Club Carrousel. Mais Sheba était son préféré, presque toujours à ses côtés. Il ne la laissait jamais au club, la nuit. Au cours de l’enquête, beaucoup d’autres témoins auraient attesté de la quasi inséparabilité de Ruby et sa Sheba si chérie.

En citant l’écrivain Michael Zezima, on peut dire: « Sheba peut s’avérer plus important que le témoignage de 552 personnes pour la dissipation d’un des mythes les plus puissants et les plus tenaces de la nation ».

Cependant, on peut bien argumenter que le fait d’avoir apporté Sheba avec lui ce-jour-là faisait partie intégrante du complot. Au cas où Ruby a été commandé de ‘faire taire’ Oswald, on peut supposer qu’il a aussi été commandé d’apporter son chien justement pour dissimuler la nature préméditée de l’acte.

De sa cellule de prison, Ruby s’est souvent enquéri du sort de Sheba et ses chiots.

Jack Ruby avec Sheba (a droite) et un chien inconnu

Le maître du cubisme a partagé sa vie avec un certain nombre d’amis canins, dont Clipper, son premier chien, Frica, mélange d’épagneul breton et de berger allemand, Kasbek, Kaboul et Sauterelle, des lévriers afghans, le boxer Yan, Lump le teckel, et le dalmatien Perro. Picasso laissait à ces égéries à quatre pattes libre accès à son atelier et ils se retrouvent dans plusieurs œuvres.

Picasso et Lump, date inconnue

Envers ses chiens, Picasso avait généralement un comportement plutôt naturaliste que pépé à chien.  Respectueux de la nature canine, il ne les anthropomorphisait pas ni cherchait à les dominer. Seul Lump faisait exception. Selon les proches de l’artiste, ce fut lui l’unique chien que le maitre a tenu dans ses bras. Originalement chien du photographe photojournaliste et ami de Picasso, David Douglas Duncan (1916-), après avoir rendu visite à Picasso à la Villa La Californie au printemps 1957, Duncan a décidé de léguer le teckel espiègle et charmant à son ami, vu sa vie de nomade et l’affection que Picasso a vite manifesté envers Lump. Simultanément muse et compagnon,  Lump serait immortalisé dans un portrait que Picasso a fait de lui sur une assiette.  De plus, dans une série de 58 peintures faites par l’artiste en 1957 réinterprétant l’œuvre de Diego Velásquez Las Méninas, Picasso a remplacé le mastin español de l’original par Lump.  En 2007 Duncan a publié un livre Picasso et Lump : une histoire d’amour (Éditions du Chêne, 2007), racontant a travers une série de photographies la relation entre le génie et son toutou.

Picasso et Lump, 1956

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Picasso et Lump, date inconnue

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Marie-Christine Tabaraud et Lump, 1957 Photo : David Douglas Duncan

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Las Meninas, Diego Velásquez , 1656

Las Meninas, Pablo Picasso, 1957

Las Meninas, Pablo Picasso, 1957

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Las Meninas, Pablo Picasso, 1957

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Las Meninas, Pablo Picasso, 1957

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Las Meninas, Pablo Picasso, 1957

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Picasso et Lump, date inconnue

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Picasso et Kasbek, date inconnue

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Lump et Yan, 1957

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Picasso, Jacqueline Roque et Lump, 1957

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Picasso et Kaboul, circa 1959  Photo:  David Douglas Duncan

Picasso jouant avec ses chiens, Circa 1960  Photo: Edward Quinn
Picasso, Jacqueline Roque, Lump, et Kasbek

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Picasso, Roque et Kaboul, 1962

Picasso et Perro, date inconnue

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Kaboul et Sauterelle, 1975, deux ans après la mort de leur maître

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Clipper, 1895


Chien et coq, 1921

Le Chien, 1936


Jacqueline et le chien afghan, 1959


Le Chien dalmate, 1959


Chien au buffet Henri II, 1959


Le buffet de Vauvenargues, 1960


Femme au chien, 1962

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Sans titre, 1967
On suppose que la tête de cette sculpture est celle de Kaboul.

Je viens de rêver que j’étais un humain riche et puissant, voyageant de par le monde, assistant à des réunions de haut niveau, disposant de milliards de dollars d’actifs.             – Quel cauchemar!
– Eh comment!

 

 

 

 

 

Au cours de sa vie, le grand écrivain/journaliste et fondateur du  mouvement naturaliste, Émile Zola, s’est entouré de divers compagnons animaliers. On compte parmi eux un bon nombre de chiens passionnément aimés :  Bertrand, Raton, un petit chien tapageur, Fanfan le griffon, le bouledogue Bataille, Voriot le chien de garde, et un spitz noir nommé plaisamment Hector Pinpin 1er de Coq Hardi.  À sa petite ferme à Médan logeaient plusieurs chats, des perruches, des serins, un cheval – le brave Bonhomme –  de belles vaches, diverses espèces de poules et de pigeons, des lapins et de petits cobayes.  Végétarien, Zola était un ardent défenseur des droits des animaux, comme en témoigne majestueusement cet article rédigé en 1896, c’est à dire approximativement un an avant son intervention dans l’affaire Dreyfus:

L’amour des bêtes

Émile Zola, Le Figaro, 24 mars 1896,
repris dans Nouvelle campagne [1896],
Paris, Bibliothèque-Charpenthier, 1897, p. 85-97.

Pourquoi la rencontre d’un chien perdu, dans une de nos rues tumultueuses, me donne-t-elle une secousse au coeur ?

Pourquoi la vue de cette bête, allant et venant, flairant le monde, effarée, visiblement désespérée de ne pas retrouver son maître, me cause-t-elle une pitié si pleine d’angoisse, qu’une telle rencontre me gâte absolument une promenade ?

Pourquoi, jusqu’au soir, jusqu’au lendemain, le souvenir de ce chien perdu me hante-t-il d’une sorte de désespérance, me revient-il sans cesse en un élancement de fraternelle compassion, dans le souci de savoir ce qu’il fait, où il est, si on l’a recueilli, s’il mange, s’il n’est pas à grelotter au coin de quelque borne ?

Zola et Bertrand

Pourquoi ai-je ainsi, au fond de ma mémoire, de grandes tristesses qui s’y réveillent parfois, des chiens sans maîtres, rencontrés il y a dix ans, il y a vingt ans, et qui sont restés en moi comme la souffrance même du pauvre être qui ne peut parler et que son travail, dans nos villes, ne peut nourrir?

Pourquoi la souffrance d’une bête me bouleverse-t-elle ainsi? Pourquoi ne puis-je supporter l’idée qu’une bête souffre, au point de me relever la nuit, l’hiver, pour m’assurer que mon chat a bien sa tasse d’eau ? Pourquoi toutes les bêtes de la création sont-elles mes petites parentes, pourquoi leur idée seule m’emplit-elle de miséricorde, de tolérance et de tendresse?

Pourquoi les bêtes sont-elles toutes de ma famille, comme les hommes, autant que les hommes ?

*   *   *

Souvent, je me suis posé la question, et je crois bien que ni la physiologie, ni la psychologie n’y ont encore répondu d’une façon satisfaisante.

D’abord, il faudrait classifier. Nous sommes légion, nous autres qui aimons les bêtes. Mais on doit compter aussi ceux qui les exècrent et ceux qui se désintéressent. De là, trois classes : les amis des bêtes, les ennemis, les indifférents. Une enquête serait nécessaire pour établir la proportion. Puis, il resterait à expliquer pourquoi on les aime, pourquoi on les hait, pourquoi on les néglige. Peut-être arriverait-on à trouver quelque loi générale. Je suis surpris que personne encore n’ait tenté ce travail, car je m’imagine que le problème est lié à toutes sortes de questions graves, remuant en nous le fond même de notre humanité.

Portrait d’Émile Zola, Édouard Manet, 1868

On a dit que les bêtes remplaçaient les enfants chez les vieilles filles à qui la dévotion ne suffit pas. Et cela n’est pas vrai, l’amour des bêtes persiste, ne cède pas devant l’amour maternel, quand celui-ci s’est éveillé chez la femme. Vingt fois, j’ai vérifié le cas, des mères passionnées pour leurs enfants, et qui gardaient aux bêtes l’affection de leur jeunesse, aussi vive, aussi active. Cette affection est toute spéciale, elle n’est pas entamée par les autres sentiments, et elle-même ne les entame pas. Rien ne saurait prouver d’une façon plus décisive qu’elle existe en soi, bien à part, qu’elle est distincte, qu’on peut l’avoir ou ne pas l’avoir, mais qu’elle est une manifestation totale de l’universel amour, et non une modification, une perversion d’un des modes particuliers d’aimer.

On aime Dieu, et c’est l’amour divin. On aime ses enfants, on aime ses parents, et c’est l’amour maternel, c’est l’amour filial. On aime la femme, et c’est l’amour, le souverain, l’éternel. On aime les bêtes, enfin, et c’est l’amour encore, un autre amour qui a ses conditions, ses nécessités, ses douleurs et ses joies. Ceux qui ne l’éprouvent pas en plaisantent, s’en fâchent, le déclarent absurde, tout comme ceux qui n’aiment pas certaines femmes ne peuvent admettre que d’autres les aiment. Il est, ainsi que tous les grands sentiments, ridicule et délicieux, plein de démence et de douceur, capable d’extravagances véritables, aussi bien que des plus sages, des plus solides volontés.

Qui donc l’étudiera? Qui donc dira jusqu’où vont ses racines dans notre être? Pour moi, lorsque je m’interroge, je crois bien que ma charité pour les bêtes est faite, comme je le disais, de ce qu’elles ne peuvent parler, expliquer leurs besoins, indiquer leurs maux. Une créature qui souffre et qui n’a aucun moyen de nous faire entendre comment et pourquoi elle souffre, n’est-ce pas affreux, n’est-ce pas angoissant? De là, cette continuelle veille où je suis près d’une bête, m’inquiétant de ce dont elle peut manquer, m’exagérant certainement la douleur dont elle peut être atteinte. C’est la nourrice près de l’enfant, qu’il faut qu’elle comprenne et soulage.

Mais cette charité n’est que de la pitié, et comment expliquer l’amour ? La question reste entière, pourquoi la bête en santé, la bête qui n’a pas besoin de moi, demeure-t-elle à ce point mon amie, ma soeur, une compagne que je  recherche, que j’aime ? Pourquoi cette affection chez moi, et pourquoi chez d’autres l’indifférence et même la haine?

*    *    *

Ces temps derniers, comme j’achevais d’écrire le roman qui a Rome pour cadre, j’ai reçu de cette ville une longue lettre qui m’a infiniment touché.

Je ne crois pas devoir en nommer le signataire. Il s’agit d’un officier supérieur de l’armée italienne, d’un héros de l’indépendance, fort âgé, je crois, et qui a pris depuis longtemps sa retraite. Si je me permets de donner quelque publicité à l’objet de sa lettre, c’est que je pense obéir à ses intentions et lui faire même un grand plaisir.

Il m’écrivait donc pour me supplier de prendre, dans mon roman, la défense des bêtes. Et le mieux est de citer : « Avez-vous remarqué les horribles atrocités qu’on exerce impunément à Rome contre les animaux, soit en public, soit en privé ? De toute manière, le fait existe ouvertement, révoltant et détestable. Rien n’a valu pour y porter remède. Je crois que vous seulement pourriez faire ce miracle, par votre puissante parole, par l’attention universelle dont vous disposez, par l’universelle réprobation qui, à votre parole indignée, ne manquerait pas d’éclater. Sur ce thème, que j’ai étudié toute ma vie, je pourrais vous fournir des faits innombrables. »

Est-il rien de plus touchant que cet appel d’un vieux soldat en faveur des pauvres bêtes qui souffrent ? Il se trompe singulièrement sur mon pouvoir, et je m’excuse d’avoir reproduit la phrase de sa lettre où il donne à ma parole une importance si exagérée. Mais, en vérité, n’est-ce point charmant et attendrissant, ce défenseur des bêtes, qui toute sa vie les a protégées, qui s’avoue vaincu, et qui va chercher un simple romancier d’une nation voisine, pour l’intéresser à la cause et lui demander le plaidoyer dont il espère enfin, sinon le salut, du moins un soulagement ? J’avoue que l’ami des chiens perdus, en moi, a sympathisé tout de suite avec le vieux brave, qui est sûrement un brave homme.

Mon roman était terminé, et je n’ai pu y glisser la moindre page en faveur des bêtes. Je me hâte d’ailleurs d’ajouter que je n’ai vu, à Rome, aucune scène m’autorisant à les défendre. Je ne mets pas en doute la parole de mon correspondant, je déclare simplement que pas une des atrocités dont il a parlé n’a frappé mes yeux. Il est à croire que les choses sont à Rome comme elles sont à Paris, bien que, d’après mes observations, il m’a toujours semblé que l’amour des bêtes décroissait, à mesure qu’on descendait vers les pays du soleil. Et, à ce propos, je citerai encore ce passage de la lettre : « A Milan, et en général chez les Italiens d’origine celtique, un coup de canne donné à un chien, et qui ne manquerait pas de soulever l’indignation publique, serait passible de l’amende établie par le Code ; tandis que, dans le Sud, les cruautés les plus raffinées, les plus révoltantes, tombent difficilement sous l’action du juge, parce qu’elles ne rencontrent chez les passants que la plus olympique indifférence. » La remarque est certainement juste, et c’est là un document pour le travail qu’on fera un jour.

Nous avons eu, à Paris, de veilles dames qui guettaient les savants vivisecteurs, et qui tombaient sur eux à coups d’ombrelles. Elles paraissaient fort ridicules. Mais s’imagine-t-on la révolte qui devait soulever ces pauvres âmes, à la pensée qu’on prenait des chiens vivants, pour les découper en petits morceaux ? Songez donc qu’elles les aiment, ces misérables chiens, et que c’est un peu comme si l’on coupait dans leur propre chair. Le héros qui m’a écrit, qui s’est battu sans peur ni reproche, sans craindre de tuer ni d’être tué, appartient certainement à la grande famille de ces âmes fraternelles que l’idée de la souffrance exaspère, même chez les bêtes, surtout chez les bêtes, qui ne peuvent ni parler, ni lutter. Je lui envoie publiquement ma poignée de main la plus attendrie et la plus respectueuse.

*    *    *

J’ai eu un petit chien, un griffon de la plus petite espèce, qui se nommait Fanfan. Un jour, à l’Exposition canine, au Cours-la-Reine, je l’avais vu dans une cage en compagnie d’un gros chat. Et il me regardait avec des yeux si pleins de tendresse, que j’avais dit au marchand de le sortir un peu de cette cage. Puis, par terre, il s’était mis à marcher comme un petit chien à roulettes. Alors, enthousiasmé, je l’avais acheté.

C’était un petit chien fou. Un matin, je l’avais depuis huit jours à peine, lorsqu’il se mit à tourner sur lui-même, en rond, sans fin. Quand il tombait de fatigue, l’air ivre, il se relevait péniblement, il se remettait à tourner. Quand, saisi de pitié, je le prenais dans mes bras, ses pattes gardaient le piétinement de sa continuelle ronde ; et, si je le posais par terre, il recommençait, tournait encore, tournait toujours. Le vétérinaire, appelé, me parla d’une lésion au cerveau. Puis, offrit de l’empoisonner. Je refusai. Toutes les bêtes meurent chez moi de leur belle mort, et elles dorment toutes tranquilles, dans un coin du jardin.

Fanfan parut se guérir de cette première crise. Pendant deux années, il entra dans ma vie, à un point que je ne pourrais dire. Il ne me quittait pas, se blottissait contre moi, au fond de mon fauteuil, le matin, durant mes quatre heures de travail ; et il était devenu ainsi de toutes mes angoisses et de toutes mes joies de producteur, levant son petit nez aux minutes de repos, me regardant de ses petits yeux clairs. Puis, il était de chacune de mes promenades, s’en allait devant moi de son allure de petit chien à roulettes qui faisait rire les passants, dormait au retour sous ma chaise, passait les nuits au pied de mon lit, sur un coussin. Un lien si fort s’était noué entre nous, que, pour la plus courte des séparations, je lui manquais autant qu’il me manquait.

Et, brusquement, Fanfan redevint un petit chien fou. Il eut deux ou trois crises, à des intervalles éloignés. Ensuite, les crises se rapprochèrent, se confondirent, et notre vie fut affreuse. Quand sa folie circulante le prenait, il tournait, il tournait sans fin. Je ne pouvais plus le garder contre moi, dans mon fauteuil. Un démon le possédait, je l’entendais tourner, pendant des heures, autour de ma table. Mais c’était la nuit surtout que je souffrais de l’écouter, emporté ainsi en cette ronde involontaire, têtue et sauvage, un petit bruit de petites pattes continu sur le tapis. Que de fois je me suis levé pour le prendre dans mes bras, pour le garder ainsi une heure, deux heures, espérant que l’accès se calmerait, et, dès que je le remettais sur le tapis, il recommençait à tourner. On riait de moi, on me disait que j’étais fou moi-même de garder ce petit chien fou dans ma chambre. Je ne pouvais faire autrement, mon coeur se fendait à l’idée que je ne serais plus là pour le prendre, pour le calmer, et qu’il ne me regarderait plus de ses petits yeux clairs, ses yeux éperdus de douleur, qui me remerciaient.

Ce fut ainsi, dans mes bras, qu’un matin Fanfan mourut, en me regardant. Il n’eut qu’une légère secousse, et ce fut fini, je sentis simplement son petit corps convulsé qui devenait d’une souplesse de chiffon. Des larmes me jaillirent des yeux, c’était un arrachement en moi. Une bête, rien qu’une petite bête, et souffrir ainsi de sa perte, être hanté de son souvenir à un tel point que je voulais écrire ma peine, certain de laisser des pages où l’on aurait senti mon coeur. Aujourd’hui, tout cela est loin, d’autres douleurs sont venues, je sens que les choses que j’en dis sont glacées. Mais, alors, il me semblait que j’avais tant à dire, que j’aurais dit des choses vraies, profondes, définitives, sur cet amour des bêtes, si obscur et si puissant, dont je vois bien qu’on sourit à mon entour, et qui m’angoisse pourtant jusqu’à troubler ma vie.

Oui, pourquoi m’être attaché si profondément au petit chien fou ? Pourquoi avoir fraternisé avec lui comme on fraternise avec un être humain? Pourquoi l’avoir pleuré comme on pleure une créature chère ? N’est-ce donc que l’insatiable tendresse que je sens en moi pour tout ce qui vit et tout ce qui souffre, une fraternité de souffrance, une charité qui me pousse vers les plus humbles et les plus déshérités ?

*   *   *

Et voilà que j’ai fait un rêve, à l’appel que j’ai reçu de Rome, cette lettre suppliante d’un vieux soldat, qui me demande de venir au secours des bêtes.

Les bêtes n’ont pas encore de patrie. Il n’y a pas encore des chiens allemands, des chiens italiens et des chiens français. Il n’y a partout que des chiens qui souffrent quand on leur allonge des coups de canne. Alors, est-ce qu’on ne pourrait pas, de nation à nation, commencer par tomber d’accord sur l’amour qu’on doit aux bêtes ? De cet amour universel des bêtes, par dessus les frontières, peut-être en arriverait-on à l’universel amour des hommes. Les chiens du monde entier devenus frères, caressés en tous lieux avec la même tendresse, traités selon le même code de justice, réalisant le peuple unique des libertaires, en dehors de l’idée guerroyante et fratricide de patrie, n’est-ce pas là le rêve d’un acheminement vers la cité du bonheur futur ? Des chiens internationaux que tous les peuples pourraient aimer et protéger, en qui tous les peuples pourraient communier, ah! grand Dieu! le bel exemple, et comme il serait désirable que l’humanité se mît dès aujourd’hui à cette école, dans l’espoir de l’entendre se dire plus tard que de telles lois ne sont pas faites uniquement pour les chiens!

Et cela, simplement, au nom de la souffrance, pour tuer la souffrance, l’abominable souffrance dont vit la nature et que l’humanité devrait s’efforcer de réduire le plus possible, d’une lutte continue, la seule lutte à laquelle il serait sage de s’entêter. Des lois qui empêcheraient les hommes d’être battus, qui leur assureraient le pain quotidien, qui les uniraient dans les vastes liens d’une société universelle de protection contre eux-mêmes, de façon que la paix régnât enfin sur la terre. Et, comme pour les pauvres bêtes errantes, se mettre d’accord, tout modestement, à l’unique fin de ne pas recevoir des coups de canne et de moins souffrir.

Zola et Hector Pinpin 1er de Coq, qui meurt de chagrin en 1898 au cours de l’exil de son maître.  Zola exprime son angoisse quant à la perte de celui ci dans un lettre écrit en juillet 1899 à une rédactrice de « L’ami des bêtes« : 
 Mademoiselle,

Je vous envoie toute ma sympathie pour l’œuvre de tendresse que vous avez entreprises en faveur de nos petites sœurs les bêtes.

Et puisque vous désirez quelques lignes de moi, je veux vous dire qu’une des heures les plus cruelles, au milieu des heures abominables que je viens de passer, a été celle où j’ai appris la mort brusque, loin de moi, du petit compagnon fidèle, qui pendant neuf ans, ne m’avait jamais quitté.

Le soir où je dus partir pour l’exil, je ne rentrai pas chez moi, et je ne puis même me souvenir si, le matin, en sortant, j’avais pris mon petit chien dans mes bras pour la baiser comme à l’habitude. Lui ai-je dit adieu ? cela n’est pas certain. J’en avais gardé la tristesse. Ma femme m’écrivait qu’il me cherchait partout, qu’il perdait de sa joie, qu’il la suivait pas à pas, d’un air de détresse infini.

Et il est mort, en coup de foudre.

Il m’a semblé que mon départ l’avait tué. J’en ai pleuré comme un enfant, j’en suis resté frissonnant d’angoisse, à ce point qu’il m’est impossible encore de songer à lui sans être ému. Quand je suis revenu, tout un coin de la maison m’a paru vide. Et, de mes sacrifices, la mort de mon chien, en mon absence, a été un des plus durs.

Ces choses sont ridicules, je le sais, et, si je vous conte cette histoire, Mademoiselle, c’est que je suis sûr de trouver en vous une âme tendre aux bêtes, qui ne rira pas trop.

L’ancien président américain John Fitzgerald Kennedy avait un amour immense pour les animaux.  Son entourage bestiaire incluait Tom Kitten le chat, ZsaZsa le lapin, Bluebell et Marybelle, les perroquets, deux hamsters qui s’appellaient Bille et Debbie, Sardar le cheval, trois poneys qui se nommaient Macaroni, Tex et Leprachaun, et ses chiens Shannon, Wolf, Clipper, Charlie et Pushinka.  En réclamant la présence de ses chiens lors de l’atterissage de l’hélicoptère présidentiel,  Kennedy a mis en place une tradition perpétuée par chacun de ses successeurs.

Descendante de la célèbre Strelka (un des chiens cosmonautes), Pushinka, une chienne samoyède, a été offerte en cadeau à la petite Caroline, fille de Kennedy, par Nikita Khrouchtchev, premier ministre de l’Union soviétique. Et à la Maison Blanche Pushinka a formé une amitié spéciale avec le beau terrier gallois, Charlie, avec qui elle a eu quatre chiots: Butterfly, White Tip, Blackie et Streaker.

Kennedy se promène dans la neige avec Charlie, terrier gallois

Pushinka et Charlie

Pushinka et ses chiots

La famille Kennedy – John, Jacqueline, John Jr et Caroline – à Hyannis Port, Massachusetts, avec Shannon, épagneul irlandais, le terrier gallois Charlie, Clipper le berger allemand et les chiots de Pushinka et Charlie

Dans Ode au carlin, extrait de son superbe recueil Poésie d’outre-ville (ELP éd., 2009),  le poète et écrivain québécois Paul Laurendeau rend hommage d’une manière évocatrice et éblouissante à cette race de chiens des plus sensible et merveilleuse.

Ode au carlin
Paul Laurendeau

C’est qu’il est sympa, il pouffe et il grogne.
Il veut être aimé, il a les yeux tendres.
Il tourne en tous sens sa noiraude trogne,
Tenu lâche en laisse par quelque élégante.

Il a l’air songeur, il a l’air fripon
Quand il freine sec, l’œil contemplatif,
Pondant lentement quelque déjection
Si tôt capturée en un sac plastique.

Il est tout petit, mais il est dodu.
Il monte à l’assaut et il cherche noise
À trois papillons au flanc du talus
D’un parc verdoyant, à la torontoise.

Il est le Carlin, on le dit de Chine.
Son intelligence est élaborée.
Son esprit poupin, subtile machine
Aime et aime tant, qu’on reste pâmé(e).

On l’a façonné pour la compagnie.
C’est qu’il est sympa, il grogne et il pouffe.
Il a les yeux tendres, il aime en ami.
Il boit, il défèque, il dort, et il bouffe.

C’est lui le Carlin, il mérite une ode.
Il ne mord jamais, aboie rarement.
On le dit de Chine, pays des pagodes,
Du millet, du jade, des monts et des vents.

Il a l’air songeur, il a l’air fripon.
Il est tout petit, mais il est dodu.
Il est le Carlin, il est simple et bon
Comme la Sagesse du vieux Lao Tzu…

Jeune fille au carlin en train de lire, Charles Burton Barber, 1879

Ayant partagée sa vie avec d’autres membres de cette race de chien de berger, quand elle a adopté le beau petit chiot d’un refuge au Maine, É-U il y a trois ans, Stephanie Fox  comprenait partfaitement les besoins du border collie (selectionné par les bergers depuis des décennies pour ses aptitudes au travail) et son besoin impératif de rester actif mentalement et physiquement. Toutefois, ce collie présente une particularité qui aura posé un défi même à cette connaisseure de la race:  le chiot est né avec des avant bras déformés, ce qui frustre profondément son besoin quasi irrépressible de courir après tout ce qui bouge.  Nullement découragée, Madame Fox a fait façonner spécialement pour lui une sorte de ‘fauteuil roulant’ à chien.  Aujourd’hui Roosevelt – nommé en souvenir de l’ancien président, Franklin Delano Roosevelt, qui, suite à une poliomyélite, se déplaçait lui aussi en fauteuil roulant – donne libre cours à son instinct de colligeur de troupeau.

« Les gens pensent qu’il aurait dû être euthanasié parce qu’ils croient qu’il souffre, » explique Fox, « mais il se réveille heureux tous les matin. »  La seule différence entre Roosevelt et les autre chiens, selon Fox, est qu’en lieu et place d’un collier, elle lui met ses roues : « Si vous aviez un enfant handicapé, vous tenteriez de l’enrichir, de lui donner des opportunités.  Pourquoi ne pas faire la même chose pour un chien? »

Roosevelt fait un cabré afin de se déplacer au dessus d'un tuyau

Roosevelt se promène avec sa maîtresse Stephanie Fox à Portland, Maine, le 7 avril 2012

Roosevelt et Stephanie Fox